Gir & Morris

Fin 1971, le journal Pilote consacre un numéro spécial à Lucky Luke pour les 25 ans de la création du personnage. C'est l'occasion pour Gir de rendre un hommage à son confrère en reprenant une page des aventures du cow-boy.

La reprise du personnage par Gir dans un style plus réaliste est superbe ! Belle gueule !

Morris reprend aussi habilement une planche de Blueberry, en changeant un peu le scénar. Le fait qu'il y ait quatre méchants dans la planche a du lui donner l'idée de mettre en scène les Dalton. Joie ! Et, au passage, Morris ne se prive pas de corriger Charlier pour son mauvais anglais, hé hé !






Bordeaux-Châteauroux

Je retombe sur ce vieux poème, fait d'instantanés de vie, et surgissent à l'improviste quelques images du passé.


Bordeaux-Châteauroux

3h33 dans le meilleur des cas
C’est un horaire qui fait rêver
Elle a de longues cuisses et se penche en souriant
Pour éponger le sang qui coule de son orteil blessé

Châteauroux ouvre son quai
Deux sourires et des présentations
Sur le fronton de l’église est inscrit : République Française

Hélène sous le laurier dit qu’elle est enceinte de cinq semaines peut-être
On dîne de pâtes à l’ail et aux courgettes avec du comté, du pesto et du vin rouge
On mange du pain d’épices avec une infusion de fenouil

Une carte de France où la Guerche sur l’Aubois me fait de l’œil
Le boxeur Georges Carpentier s’y entraînait dans les années vingt
C’était avant de chuter devant le nègre Battling Siki au stade Buffalo

Curepipe
Flic en flac
Anse la Raie
Cap Malheureux
Blue Lagoon
Terres de sept couleurs
Trou aux biches
Pointe aux Canonniers

C’est une carte de l’île Maurice
Pourquoi pas l’île Gustave ?
Ou l’île René ou l’île Roger ?

Le père de Sabine est né à Port-Louis
Thé Bois-Chéri qu’on boit avec du lait, comme les Anglais
Elle chante une comptine quechua

Pawai Pawai ou i hatcha
Tchakra Tcha kourata
Partatar apa soukinan
Atoka ouasima

Les langues du monde s’effleurent de la pointe
S’entremêlent parfois
Puis disparaissent

Pour le théâtre, on trouve ici les manuels essentiels de
Constantin Stanislavski
Yochi Oïda
Tadeusz Kantor
Peter Brook
Augusto Boal

Et des livres en espagnol
Des photos de Sabine souriante
Des dessins de hippies

Salomé Luz a cinq ans dans un mois
On se chamaille sans cesse
L’éducation des enfants est un sujet sensible

Elle dit z en place de j
S au lieu de ch
Et autres fantaisies
Maman, ze veux pas aller me cousser

J’ai rêvé cette nuit que Sabine sanglotait dans mes bras
Elle a rêvé qu’elle faisait l’amour à sa sœur
J’ai rêvé que je me battais à coups de bâton

Sylvain et Hélène ont l’air contents d’eux
On mange daurades et maquereaux grillés sur un barbecue de fortune
Patates bouillies et beurre demi-sel
Glace et gnôle poire Gérard 2004

Nadia a comme homme Aboubacar et comme fils Issam
Anne a comme homme Yo, comme fils Yamato, comme fille Miti
Anne a comme fils Stefano

Etienne l’agriculteur travaille moins pour faire du théâtre
Ses trois fils portent des chapeaux melon
Et Johanna son amoureuse est marionnettiste

Dans le jardin, il y a des cerises aigres et demi aigres
Une échelle en bois, un arc-en-ciel, de l’herbe mouillée
Des lièvres courent dans les champs de céréales qui courent jusqu’à l’horizon

Plaine des Hommes Longs, il y a cinq concerts
Un groupe de rock’n roll berrichon
Pourquoi qu’a dit rin pourquoi qu’a fait rin pourquoi qu’a pense à rin ?

Paresseux dimanche matin
Musique d’Arvo Pärt
Mélancolique comme les gouttes qui tombent des arbres après la pluie

On arrive juste à temps à la gare
Je monte dans le train qui démarre
Sabine et Salomé courent sur le quai en agitant les mains
Je rêve

Voie H, le train 3681 à destination de Périgueux va partir
Assurez-vous de la fermeture des portes, s’il vous plaît
Attention au départ

(Châteauroux, 15-18 juin 2006)

La Roman de la Rose - Jean de Meung

Extraits du Roman de la Rose (c. 1275), par Jean de Meung.


La Vraie Noblesse

« Les princes ne méritent pas
Qu’un astre annonce leur trépas
Plutôt que la mort d’un autre homme
Leur corps ne vaut pas une pomme
De plus qu’un corps de charretier, 
Qu’un corps de clerc ou d’écuyer. 
Je les fais pareillement nus,
Forts ou faibles, gros ou menus,
Tous égaux sans exception 
Par leur humaine condition. 
Fortune donne le restant,
Qui ne saurait durer quun temps, 
Et ses biens à son plaisir donne, 
Sans faire acception de personne, 
Et tout reprend et reprendra
Sitôt que bon lui semblera.

Si quelqu’un, me contredisant
Et de sa race se targuant,
Vient dire que le gentilhomm
(Puisqu’ainsi le peuple les nomme) 
Est de meilleure condition
Par son sang et son extraction
Que ceux qui la terre cultivent
Et du labeur de leurs mains vivent,
Je réponds que nul nest racé 
S’il n’est aux vertus exercé, 
Nul vilain, sauf par ses défauts 
Qui le font arrogant et sot.
Noblesse, c’est cœur bien placé, 
Car gentillesse de lignée
N’est que gentillesse de rien
Si un grand cœur ne s’y adjoint.
Il faut donc imiter au mieux
Les faits d’armes de se aïeux
Qui avaient conquis leur noblesse
Par leurs hauts faits et leur prouesse
Mais, quand de ce monde ils passèrent, 
Toutes leurs vertus emportèrent, 
Laissant derrière eux leur avoir :
C’est tout ce qu’il reste à leurs hoirs
Rien d’autre, hors l’avoir, n’est leur, 
Ni gentillesse ni valeur,
A moins qu’à noblesse ils n’accèdent 
Par sens ou vertu qu’ils possèdent.

Au clerc il est bien plus aisé
D’être courtois, noble, avisé
(Je vous en dirai la raison),
Qu’aux princes et aux rois qui n’ont
De lettres la moindre teinture
Car le clerc trouve, en écriture, 
Grâce aux sciences éprouvées, 
Raisonnables et montrées, 
Tous maux dont il faut se défaire
Et tout le bien que l’on peut faire
Choses du monde il voit écrites 
Comme elles sont faites et dites.
Il lit dans les récits anciens
Les vilenies de tous vilains
Et les hauts faits des héros morts, 
De courtoisie un vrai trésor.
Bref il peut voir, écrit en livre,
Tout ce que lon doit faire ou suivre
Aussi tout clerc, disciple ou maître, 
Est noble, ou bien le devrait être ;
Le sachent ceux qui ne le sont
C’est que le cœur trop mauvais ont, 
Car ils sont plus favorisés
Que tel qui court cerfs encornés.

Quiconque vise à la noblesse 
D’orgueil se garde et de paresse 
S’exerce aux armes, à l’étude, 
Dépouille toute turpitude.
Humble cœur ait, courtois et doux,
En toute occasion, pour tous, 
Sauf envers ses seuls ennemis, 
Quand l’accord ne peut être mis. 
Dames honore et demoiselles, 
Mais point ne se fie trop à elles, 
Car il pourrait s’en repentir : 
Combien a-t-on vu en souffrir
Louange, estime à pareille âme, 
Jamais ni critique ni blâme,
Et de noblesse le renom
Qu’elle mérite ; aux autres, non. 
Chevaliers aux armes hardis, 
Preux en faits et courtois en dits, 
Comme fut messire Gauvain,
Qui n’avait rien dun être vain,
Ou le comte d’Artois Robert, 
Qui, dès qu’il eut quitté le bers
Pratiqua toujours dans sa vi
Noblesse, honneur, chevalerie, 
Jamais oisif ne demeurant,
Et devint homme avant le temps. 
Ces chevaliers preux et vaillants
Larges, courtois, fiers combattants, 
Qu’ils soient partout très bienvenus, 
Loués, aimés, et chers tenus.

De même l’on doit honorer
Clerc qui aux arts veut s’exercer 
Et bien pratiquer la vertu
Comme dans son livre il la lu. 
Et l’on faisait ainsi jadis. (…) 
Maint exemple le prouverait
Tels naquirent de bas lignage
Et eurent plus noble courage
Que maints fils de roi ou de comte
Dont je ne veux faire le compte
Et pour nobles furent tenus.
Mais hélas des temps sont venus, 
Où les bons, qui toute leur vie 
Étudient la philosophie, 
S’en vont en pays étranger 
Pour sens et valeur rechercher 
Et souffrent grande pauvreté, 
Comme mendiants et endettés ;
Ils sont sans souliers, sans habit,
Nul ne les aime, ou les chérit ;
Les rois les prisent moins que pomme, 
Eux qui pourtant sont gentilshommes 
(Dieu me garde d’avoir les fièvres !). 
Plus que ceux qui chassent les lièvres 
Ou que ceux qui sont coutumiers
De hanter les palais princiers. (…) 

D’autre part la honte est bien pire,
Pour un fils de roi d’être vain, 
De méfaits et vices tout plein, 
Que pour un fils de charretier, 
De porcher ou de savetier.
Il serait bien plus honorable 
 Pour Gauvain, héros admirable, 
De descendre d’un vil peureux 
Qui ne se plaît qu’au coin du feu, 
Que d’être issu de Rainouard,
Si lui-même n’était qu’un couard. »